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Social

24 Départements appellent à la mise en place d’États Généraux de la protection de l’enfance en 2024

24 présidents de Départements, parmi lesquels Germinal Peiro, président du Conseil départemental de la Dordogne, ont écrit une lettre ouverte adressée à Charlotte Caubel, secrétaire d’État chargée de l’Enfance, le 1er septembre, pour appeler à la mise en place d’États Généraux de la protection de l’enfance en 2024.

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"Pour la protection de l’enfance, nous appelons à des États Généraux en 2024", tel est le titre de la lettre ouverte écrite par 24 présidents de Départements et adressée à Charlotte Caubel, secrétaire d’État chargée de l’Enfance, vendredi 1er septembre. 

Cette lettre, en intégralité ci-dessous, a été publiée sur le site du Huffington Post.

Madame la Ministre,

Vous présenterez à la rentrée le nouveau plan pour lutter contre les violences faites aux enfants, qui définira les actions dans ce domaine pour les quatre années à venir. En tant que Présidentes et Présidents de Département, collectivité cheffe de file de la protection de l’enfance, nous souhaitons vous faire part de notre grande inquiétude concernant les conditions d’accompagnement et d’accueil de ces enfants confiés sous notre responsabilité.

La période estivale qui s’achève a été une fois de plus extrêmement difficile pour la protection de l’enfance : les lieux d’accueil d’urgence sont saturés, les professionnels travaillent dans des conditions dégradées, et les demandes de protection en attente s’accumulent. Cet état paroxystique souligne de façon criante les problématiques structurelles de cette politique publique. Aujourd’hui, c’est toute la chaîne de la protection de l’enfance qui est enrayée, avec des conséquences désastreuses et irrémédiables pour les enfants et leurs familles.

Face à cette situation inacceptable, les Départements font de la protection de l’enfance leur priorité et engagent des moyens considérables pour redonner de l’air à ce système à bout de souffle, comme le traduit l’augmentation constante des budgets consacrés à cette politique. En 2022 la dépense nette de protection de l’enfance a augmenté de 6,9 % au niveau national, reposant principalement sur les finances des Départements. Certains d’entre eux ont même augmenté leur budget dans ce domaine de près de 70 % entre 2015 et 2023, ce qui en fait alors le premier poste de dépense.

Les lieux d’accueil d’urgence sont saturés, les professionnels travaillent dans des conditions dégradées, et les demandes de protection en attente s’accumulent.

Mais force est de constater que les Départements ne peuvent et n’ont pas, à eux seuls, à transformer en profondeur cet écosystème en crise. Si la loi leur a confié cette compétence, sa mise en œuvre doit, suivant les parcours et la spécificité des situations, s’articuler avec d’autres politiques publiques qui relèvent de l’État : de l’Éducation Nationale aux Agences Régionales de Santé, en passant par la justice et la Protection Judiciaire de la Jeunesse, la réussite de la prise en compte de ces enfants implique que chacun fasse sa part. Or, les situations de carences dans la prise en charge au titre de la solidarité nationale sont nombreuses, comme le soulignait récemment le Défenseur des droits : « les réponses institutionnelles ne sont pas à la hauteur des enjeux et portent atteinte aux droits fondamentaux des enfants ».

Il n’est plus possible, il n’est plus supportable qu’il en soit ainsi dans notre République qui se veut égalitaire et fraternelle. Convaincus que seule une stratégie interministérielle ambitieuse pourra répondre aux besoins des enfants, nous appelons de nos vœux la mise en place d’États généraux de la protection de l’enfance en 2024. Ce temps d’échange et de réflexion partagé avec l’ensemble des acteurs de l’aide sociale à l’enfance, de la prévention, de la justice, de l’éducation et de la santé, sans oublier les enfants et leurs familles, est indispensable pour sortir collectivement de cette crise. Il permettrait d’aboutir à une feuille de route engageant plusieurs ministères et les collectivités autour de mesures concrètes et priorisées, assorties des moyens nécessaires pour garantir aussi bien à l’État qu’aux Départements et au secteur associatif habilité qu’ils soient à la hauteur de leurs missions.

En premier lieu, la protection de l’enfance doit prendre le virage d’un accompagnement transversal unique qui englobe le champ du sanitaire, du handicap et du scolaire. Alors que l’État tend à se désengager de certaines de ses missions sanitaires et médico-sociales, en particulier du handicap et de la pédopsychiatrie, nous sommes convaincus que des solutions innovantes sont à trouver pour garantir la prise en compte globale des besoins de l’enfant. Nous devons aussi avoir pour objectif d’aller plus loin grâce à des investissements massifs en prévention, pour offrir les conditions d’épanouissement et d’émancipation des enfants dans leurs familles.

Une action prioritaire doit également être menée sur l’attractivité des métiers du lien, chantier indispensable pour que ces professions soient reconnues à la hauteur de leur utilité sociale, alors que la protection de l’enfance connaît une grave crise des vocations. Cette situation alarmante mérite des transformations nationales rapides des modalités de formation et d’exercice pour redonner aux jeunes l’envie de s’investir dans ces professions indispensables à la cohésion sociale. Le Haut Conseil du Travail Social est sur le point de produire à ce titre son Livre Blanc, qui partage les constats et propose des solutions en réponse.

Un temps d’échange et de réflexion partagé avec l’ensemble des acteurs de l’aide sociale à l’enfance, de la prévention, de la justice, de l’éducation et de la santé, sans oublier les enfants et leurs familles, est indispensable pour sortir collectivement de cette crise.

Enfin, il nous semble urgent de revoir le financement de cette politique dont la décentralisation n’a pas été poussée jusqu’au bout. Les Départements n’ont pas l’autonomie financière suffisante pour mener à bien leurs missions en l’absence de levier fiscal et de dotations financières dépendantes de la conjoncture économique. De même, nous considérons que l’inscription dans la loi de nouvelles missions dévolues aux services d’Aide Sociale à l’Enfance doit être systématiquement assortie de la garantie de l’État que des moyens financiers adaptés seront dévolus aux Départements, comme par exemple pour l’accompagnement des jeunes majeurs.

Notre démarche a pour objectif d’ouvrir un dialogue sur cette politique trop souvent négligée, dans l’intérêt des enfants, afin que notre société honore sa devise d’égalité et de fraternité. Tous les enfants, sans distinction, ont le droit de grandir dans la dignité, quelles que soient leur origine sociale et leur fragilité.

Ces dernières années des évolutions législatives significatives ont été adoptées mais peinent à se concrétiser : nous souhaitons donc travailler ensemble à la déclinaison locale de ces ambitions partagées, en tenant compte de l’urgence dont nous connaissons les réalités et les priorités à établir sur nos territoires.

Nous sommes disponibles pour travailler avec vous ces propositions et sollicitons une rencontre pour un premier échange.

Veuillez recevoir, Madame la Ministre, l’expression de notre très haute considération.

Cette lettre ouverte est co-signée par 25 président.e.s de Départements  : Christine Téqui (Ariège) ; Hélène Sandragné (Aude) ; Philippe Bouty (Charente) ; Christian Coail (Côtes-d’Armor) ; ; Germinal Peiro (Dordogne) ; Sébastien Vincini (Haute-Garonne) ; Philippe Dupouy (Gers) ; Jean-Luc Gleyze (Gironde) ; Kléber Mesquida (Hérault) ; Jean-Luc Chenut (Ille-et-Vilaine) ; Xavier Fortinon (Landes) ; Michel Ménard (Loire-Atlantique) ; Sophie Borderie (Lot-et-Garonne) ; Sophie Pantel (Lozère) ; Chaynesse Khirouni (Meurthe-et-Moselle) ; Fabien Bazin (Nièvre) ; Jean-Claude Leroy (Pas-de-Calais) ; Bruno Bernard (Métropole de Lyon) ; Hermeline Malherbe (Pyrénées-Orientales) ; Dominique Versini (Paris) ; Christophe Ramond (Tarn) ; Michel Weill (Tarn-et-Garonne) ; Jean-Claude Leblois (Haute-Vienne) ; Stéphane Troussel (Seine-Saint-Denis) ; Françoise Laurence-Perrigot (Gard).